Déjà fragilisée par une succession de crises, la France semble plus que jamais sortir exsangue de ces nuits d’émeutes dont les images de chaos nous renvoie en miroir le portrait d’une société déchirée.
Si le drame survenu à Nanterre suscite légitimement une vive émotion et justifie pleinement que toute la lumière soit faite pour en saisir les circonstances et rechercher les responsabilités, il n’en demeure pas moins que justice ne saurait être rendue par l’appel à la violence et aux exactions.
Le temps du recueillement et de la compassion pour la famille et les proches du jeune Nahel M., dans le respect et la dignité, doit être suivi du temps laissé au travail de la justice, loin de l’agitation, en nous obligeant toutes et tous, citoyennes et citoyens français, à observer une certaine retenue et à garder confiance en l’institution judiciaire, socle de notre démocratie.
Un autre temps devra également s’amorcer, celui de la politique, afin de tirer les leçons tant des circonstances de ce drame que des conséquences qu’il a produit au point de transformer notre pays en immense brasier, sans qu’aucun territoire ne soit épargné.
En effet, si le basculement dans la crise et les violences urbaines, en l’espace de quelques heures, a d’abord pu frapper par sa soudaineté en surgissant avec fracas dans nos vies, l’instant d’après qui s’ouvre nous oblige à rechercher les causes profondes de ces tensions qui, si elles sont laissées sans réponse, affecteront durement et durablement notre vivre-ensemble, déjà mis à mal.
Pour une police républicaine à comportement exemplaire
Cette urgence à l’introspection puis à l’action est d’autant plus forte que la propension à l’embrasement de la société française dans ses quartiers populaires n’est pas une nouveauté. Car, s’il est évidemment permis à chacun.e d’être troublé.e par la soudaineté et l’ampleur de ces événements, l’étonnement ne saurait être permis tant les ressorts de la crise semblent couver depuis de nombreuses années, voire des décennies.
La comparaison avec les émeutes de l’automne 2005 s’est rapidement imposée, aussi bien parmi les commentateurs que parmi les émeutiers eux-mêmes. Plus récemment, au printemps 2020, la mobilisation générée en France par le décès tragique de George Floyd, Afro-Américain décédé lors de son interpellation par la police à Minneapolis, a témoigné de la vulnérabilité de la France face à la question du rapport entre la police et les populations racisées.
La police, parce qu’elle incarne l’autorité de l’Etat et se retrouve en première ligne de l’action publique dans les quartiers les plus déshérités de la République, concentre bon nombre de remises en cause, notamment de la part de celles et ceux qui se sentent le plus en marge de notre société. Une démocratie saine doit pouvoir remettre en cause sa police si les circonstances le requièrent. Une police républicaine doit accepter de se hisser à un haut niveau d’exigence en adoptant un comportement exemplaire et strictement conforme aux lois et règlements.
Toutefois, n’en déplaise à certain.e.s, le rôle de la police est essentiel et à vocation à le demeurer pour permettre à chacun.e de vivre librement et sans crainte au sein de la République. Le policier auteur du coup de feu ayant conduit à la mort du jeune Nahel M. sera jugé par une justice indépendante et agissant au nom du peuple français. Le procès de ce policier doit être dissocié de la proposition politique consistant à questionner démocratiquement le rôle et l’action de la police.
Pour un service public de la sécurité orienté vers les plus fragiles
Plus que jamais, cette crise témoigne de la nécessité d’ériger la police en grand service public de la sécurité prioritairement orienté vers la protection des citoyens, en particulier celles et ceux qui sont les plus fragiles. Pour beaucoup de françaises et français, notamment dans les classes populaires, la présence d’un commissariat dans leur commune est une garantie indispensable de tranquillité dans un monde qui les angoisse. Or, comme de nombreux services publics, la police nationale est aujourd’hui affaiblie car sous-dotée. Trop de postes ont été supprimés, les salaires sont faibles, et le matériel encore trop souvent vétuste. Le taux de suicide est élevé dans une profession confrontée chaque jour à la violence.
Aussi bien par tradition que par volonté politique, les doctrines d’emploi et les moyens de la police française sont aujourd’hui d’abord guidés par des considérations d’ordre public et de préservation des institutions en place. Continuer à utiliser la police pour juguler les aspirations aux changements, sur fond de crise démocratique, sociale et écologique, ne fera qu’aggraver les tensions et les logiques de confrontation, en confortant par ailleurs les extrêmes, qu’ils soient partisans d’un ordre public dur ou au contraire partisans de la rébellion violente contre les institutions établies. Quand l’Etat n’est plus dans le dialogue, dans la co-construction des politiques publiques avec les corps intermédiaires, dans l’écoute des manifestations de masse, il envoie la police pour réprimer les mouvements de colère populaire qui s’en suivent, et ce sont les policières et les policiers, dont les modes opératoires découlent avant tout des politiques de sécurité du pouvoir en place, qui en font aussi les frais.
Animé par des ambitions fortes au nom de la paix publique, le service public de la sécurité doit participer à la pleine intégration des quartiers populaires au sein de la République, en vertu d’un rapport renouvelé et de proximité entre la police et la population. Une des mesures fortes pour retisser le lien entre police et quartiers populaires pourrait être d’ailleurs de renforcer les voies de recrutement de jeunes de ces quartiers au sein des forces de la police nationale, comme c’est le cas aujourd’hui déjà avec le dispositif des cadets de la République.
Néanmoins, la seule question de l’emploi de la police et de son rapport à la population ne saurait évidemment répondre à elle seule aux maux mis en lumière par ces émeutes et les pillages intolérables qui les ont accompagnées.
Moyens donnés à la justice, éducation, insertion par l’emploi, meilleure répartition des richesses, lutte contre la précarité et les discriminations, rénovation urbaine et accompagnement vers la transition écologique, restauration du dialogue par les corps intermédiaires représentatifs, renouvellement démocratique et engagement citoyen. Voilà autant de chantiers qui doivent devenir des priorités nationales pour réconcilier le pays avec lui-même et atteindre la paix publique que chacun.e est en droit d’exiger.