Retrouvez ci-dessous la tribune dans l’Humanité de Florentin Letissier, membre de Écologie et République.
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Ces derniers mois, le gouvernement annonce mesures sur mesures. France Travail, RSA, réforme chômage, future loi immigration…Il s’agirait de remettre les Français.e.s et les migrant.e.s au travail, de gré ou de force et peu importe au fond dans quelles conditions. Preuve en est la volonté de conditionner le versement du Revenu de solidarité active (RSA) à 15 à 20 heures d’activité hebdomadaires.
En quoi consisteraient ces « heures d’activité » imposées, nul ne le sait précisément aujourd’hui. Le risque est grand qu’elles prennent la forme d’heures d’insertion bas de gamme, sous-encadrées et mal financées, au mépris de la réalité des conditions de vie des personnes concernées, et de leurs souhaits de parcours de formation et/ou d’emploi.
Cela montre bien qu’il existe un fossé entre deux conceptions de l’insertion. D’un côté celle esquissée par le gouvernement, reposant sur un système de sanctions, dont la plus ultime est celle de menacer de retirer aux personnes le versement d’une allocation qui devrait demeurer inconditionnelle, dans l’esprit du RMI créé par Michel Rocard en 1991 pour lutter contre la pauvreté. De l’autre, une politique ambitieuse et humaine de l’insertion, où les pouvoirs publics investissent pour offrir aux personnes un accompagnement socio-professionnel leur permettant de retrouver compétences et confiance, afin de trouver un emploi digne.
L’insertion est un accompagnement global de la personne
Nous avons de la chance, cette insertion ambitieuse et humaine existe, et est notamment pratiquée chaque jour dans notre pays par les Structures de l’Insertion par l’Activité Économique (SIAE). Les Françaises et les Français connaissent peu ces acteurs de l’économie sociale et solidaire : chantiers d’insertion, associations intermédiaires, entreprises d’insertion ou de travail temporaire d’insertion, régies de quartier. Elles se donnent pour mission de permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi, en raison de difficultés sociales et professionnelles particulières (âge, état de santé, précarité…) de bénéficier d’un accompagnement renforcé qui doit faciliter leur insertion professionnelle.
On les trouve dans de nombreux secteurs de notre économie : restauration, bâtiment, nettoyage, boutiques solidaires, transport, jardinage…la liste est longue. Elles sont généralement bien implantées dans leurs quartiers, leurs territoires, notamment car elles accompagnent des personnes qui en sont issues. C’est pourquoi elles sont soutenues par les collectivités locales, qui viennent souvent les co-financer aux côtés de l’État. C’est notamment le cas à Paris, où la Ville mobilise année après année des financements croissants en leur faveur.
Les SIAE savent que pour se sortir de la précarité grâce au travail, il faut accompagner les salarié.e.s en insertion à lever de multiples freins à l’emploi dont les principaux sont la difficulté d’accéder au logement, la mauvaise maîtrise de la langue française et des outils numériques, les difficultés à faire valoir ses droits auprès de l’Administration, ou l’impossibilité de trouver des solutions de garde d’enfant. C’est pourquoi on parle d’accompagnement socio-professionnel.
L’État a longtemps soutenu les SIAE, y compris sous la présidence de Monsieur Macron, via notamment le pacte d’ambition IAE lancé en 2019 qui garantissait des financements forts pour le secteur, afin de participer à construire une « société plus inclusive ». Mais l’année 2023 marque une rupture, avec le gel des agréments autorisant la création de postes en insertion au premier semestre 2023, laissant craindre au secteur une totale remise en cause de la politique de soutien à l’IAE, suivie d’une annonce ponctuelle par le ministre Olivier Dussopt d’un abondement budgétaire pour certaines structures pour les aider à faire face au contexte économique, mais sans aucune perspective d’ensemble claire pour les années à venir.
Les structures de l’insertion sont un des piliers de l’économie durable dont nous avons besoin
Pourtant les acteurs de l’insertion sont au cœur de l’économie durable que nous devons impérativement développer pour faire face aux grands défis de notre époque. Le fait que les structures de l’IAE placent des missions d’intérêt général telles que l’égalité face à l’emploi ou la cohésion sociale au cœur de leur activité économique les amène naturellement à intégrer la question écologique, enjeu majeur de bien-être collectif.
Ainsi, partout en France, des salariés en insertion produisent en économie circulaire. Elles et ils travaillent dans les ressourceries/recycleries de quartiers, créent des circuits de cyclo-logistique, réparent les appareils numériques et l’électroménager, fabriquent des vêtements de qualité à base de tissus revalorisés, cuisinent en limitant le gaspillage alimentaire, et tant d’autres innovations écologiques. Dans de nombreuses filières, y compris en tension, les structures de l’insertion travaillent en bonne intelligence avec les entreprises classiques, en s’inscrivant dans leur politique de RSE, ou via des partenariats tels que les joint-ventures sociales.
Les structures de l’insertion jouent également un rôle important en termes de lien social dans les quartiers. Citons par exemple les dynamiques territoriales impulsées par les régies de quartier partout dans notre pays. Structures hybrides, à la fois employeuses de salariés en insertion, et animatrices d’événements et de projets dans les quartiers populaires, comme des bals populaires, des repairs cafés ou des accorderies, les régies sont aujourd’hui plus de 130 en France et couvrent 320 quartiers prioritaires où vivent plus de 3 millions d’habitants.
Tous ces acteurs de l’insertion, loin de l’image d’une économie ringarde et de seconde zone qui leur est parfois accolée, incarnent aujourd’hui une économie désirable et indispensable qui méritent un soutien affirmé des pouvoirs publics.
En 1974, dans un texte visionnaire intitulé « leur écologie et la nôtre », le philosophe André Gorz avait prévu à quel point l’écologie, comme concept et comme vision politique, allait être déformée pour être récupérée par le système économique dominant, destructeur des humains et de la planète. Parallèle peut être fait avec le débat actuel sur l’insertion, où le gouvernement, sous couvert du noble objectif de faire accéder davantage de personnes à l’emploi, prépare malheureusement des politiques de précarisation, d’abaissement des droits sociaux, et de fragilisation de tout le tissu économique des SIAE. Il n’est pas trop tard pour prendre le véritable chemin de l’insertion.