Au mois de mai dernier, Écologie et République a organisé en partenariat avec le Columbia Global Center Paris une conférence dédiée à la diplomatie écologique de la France. En voici ci-dessous le compte-rendu.
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Les enjeux climatiques et environnementaux prennent une place de plus en plus prépondérante dans les relations internationales. Ils forment la toile de fond d’une instabilité qui caractérise l’ordre international actuel, dans un monde fracturé par des antagonismes croissants entre un Nord et un Sud qui peinent à s’entendre et à se comprendre, un retour de la guerre sur le sol européen, la persistance du terrorisme ainsi que la volonté de certaines puissances de remettre en cause les fondements mêmes du multilatéralisme.
La crise environnementale et ses manifestations, comme la raréfaction des ressources naturelles, la dégradation des écosystèmes et la multiplication des catastrophes climatiques, attisent les tensions au sein et entre les pays et mettent en péril l’atteinte des objectifs de développement durable, en particulier pour les États et populations les plus pauvres et vulnérables.
Alors que ces enjeux continueront de structurer les relations que la France entretient avec ses partenaires internationaux, les clés de résolution de ces crises demeurent multilatérales. La France, qui s’est historiquement imposée comme un acteur majeur des relations internationales, se doit d’être à l’initiative pour encourager une coopération ambitieuse et jouer un rôle moteur pour relever ces défis mondiaux. Ce rôle doit s’articuler avec une prise en considération de sa sécurité et celle de ses voisins européens, y compris énergétique, et une défense de ses intérêts, notamment économiques.
Dans ce contexte, le groupe de réflexion Ecologie et République, en partenariat avec Columbia Global Centers, a organisé une réflexion autour de deux questions directrices : Quelles priorités pour une diplomatie climatique et environnementale ambitieuse ? Comment mieux aligner les diplomaties environnementale, économique, et de défense ?
Pour nous aider à répondre à ces questions, nous avons eu le plaisir d’accueillir trois invités :
– Lucile Maertens, professeure associée à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, co-directrice du Global Governance Centre et collaboratrice scientifique à l’Université de Lausanne. Ses travaux portent sur l’action des organisations internationales notamment dans le domaine de l’environnement et des politiques climatiques.
– Arnaud Gilles, en charge des plaidoyers climat, énergie et diplomatie au WWF France, et également porte-parole de l’organisation
– Tristan Dufès, diplomate, sous-directeur de l’équipe en charge des secteurs stratégiques à la diplomatie économique du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
[La discussion s’étant déroulée sous les règles Chatham House, le compte-rendu qui suit ne rapporte pas les propos de chacun des panélistes de façon nominative]
Nous avons dans un premier temps demandé à nos trois panélistes ce qui constituerait une diplomatie climatique et environnementale ambitieuse et crédible, et quelles en seraient ses conditions. Plusieurs caractéristiques clés ont été identifiées : la pratique du multilatéralisme ; l’inclusivité de la société civile et du monde académique ; la pluralité des modes de production des savoirs ; la transversalité du traitement des questions, avec des arènes de discussion pensées en cohérence avec les autres enjeux et dynamiques Nord-Sud.
La formation de nouvelles formes de coalitions permettant de dépasser les clivages traditionnels a été encouragée. L’un des intervenants a évoqué de nouveaux rapports de forces qui ont émergé lors de la COP28, où pour la première fois le fond du sujet a compté davantage et présidé à la formation de nouvelles coalitions, plus hétéroclites et moins formelles qu’à l’ordinaire, permettant de sortir de la dynamique très politisée du Sud face au Nord. En suivant cet exemple, il plaidait pour que la France devienne ou redevienne un pont entre le Nord et le Sud à travers la constitution de nouveaux formats de discussion.
La question de l’agilité de la diplomatie française lors des négociations internationales sur le climat a également été soulevée. L’un des intervenants regrettait les difficultés de la délégation française à adapter sa position au fil des négociations. Un autre intervenant a souligné les lenteurs parfois induites par le fonctionnement interministériel de la diplomatie et la nécessité de se coordonner au niveau européen, ne permettant pas toujours de réagir suffisamment vite.
Par ailleurs, les positions défendues par la France dans les enceintes internationales devaient être cohérentes avec ses engagements climatiques et environnementaux et les politiques menées, ainsi que les budgets alloués, au niveau national, qu’il s’agisse de positions relatives à l’énergie, au commerce ou encore à l’agriculture.
Nous avons ensuite interrogé nos panélistes sur la question de l’alignement et le risque d’un double langage entre ce que la France porte sur le climat et l’environnement, et l’action de notre diplomatie économique. Alors que la France s’est engagée à ne plus soutenir avec des financements publics des entreprises dont les activités ne seraient pas en alignement avec ses engagements climatiques (par exemple du secteur hydrocarbures), un certain appui est toujours possible par des garanties export (soumises à certaines règles) ou un soutien diplomatique. En réponse à ce risque de double langage, un panéliste a rappelé que par principe la diplomatie française était tenue de respecter les accords climatiques signés dans l’ensemble de son action.
Par ailleurs, le panéliste estimait que les entreprises évoluent positivement sur le sujet, en établissant et mettant en œuvre leurs propres stratégies pour verdir leurs modes de production et décarboner leurs approvisionnements en énergie. Ce mouvement collectif était dû non seulement à l’impulsion des citoyens, mais également aux conditions de plus en plus strictes du secteur bancaire. Pour lui, la diplomatie économique française avait pour objectif d’accompagner ces entreprises françaises dans cet effort de décarbonation, mais également d’assurer l’approvisionnement de la France sur les domaines stratégiques.
Néanmoins, des pistes de garde-fous pouvaient être envisagées. Par exemple, la mise en place de contrôles afin de s’assurer que tout soutien financier ou diplomatique à des projets d’exportation non alignés avec les engagements français en matière de climat et d’environnement soit prohibés, et que toute dérogation nécessite un arbitrage ou une validation à haut niveau.
Alors que notre économie doit massivement se décarboner et que les énergies renouvelables sont un élément crucial de cette équation, nous avons souhaité interroger nos panélistes sur l’articulation entre cet impératif et celui de renforcer la souveraineté économique et industrielle de la France.
Il a d’abord été rappelé que la France, tout comme l’Europe, s’était dotée d’une stratégie en matière de sécurité des approvisionnements en minerais critiques. Celle-ci vise non seulement à promouvoir nos entreprises françaises à l’international sur des filières clefs, mais également protéger le tissu industriel français. Cette politique passait nécessairement par un renforcement de la réglementation au niveau européen.
Par ailleurs, dans un contexte de blocage de l’OMC, un intervenant a indiqué que le G7 avait lancé une plateforme anti-coercition, adoptée au niveau européen, afin de donner aux Etats la capacité de réagir en cas de mesures coercitives de politiques commerciales adoptées par des pays tiers. Cette mesure avait pour but de permettre aux Etats de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement. Cependant, des mesures européennes telles que la taxe carbone (CBAM) et la loi anti-déforestation pouvaient aussi être perçues par d’autres pays comme une ingérence dans leur propre souveraineté, en imposant des droits de douane ou des restrictions à l’importation.
Enfin, un intervenant a souligné l’importance de conjuguer la souveraineté économique et industrielle de la France avec l’exigence de sobriété, afin de limiter nos besoins. Si le recyclage était partie intégrante de la stratégie française sur les métaux, celle-ci ne prenait en effet pas en compte le rationnement de la demande comme élément de sécurisation de nos besoins.
Nous avons ensuite évoqué les liens de causalité entre la dégradation environnementale et la montée des conflits, cette dernière pouvant être exacerbée notamment par des déplacements de population résultant du réchauffement climatique, ou bien par la compétition pour les ressources naturelles.
Pour l’un de nos intervenants, il convenait cependant de ne pas tendre vers une simplification des grilles de lecture, voire une instrumentalisation du changement climatique pour expliquer l’émergence de conflits (par exemple au Soudan ou en Syrie). Sans rejeter la pertinence d’une lecture climatique des conflits, il était estimé préférable d’adopter une approche prenant en compte la dimension multi-causale, au risque d’une dépolitisation du conflit.
Une diplomatie écologique ambitieuse devrait aussi réfléchir aux liens avec d’autres grands enjeux de notre monde (énergétiques, géopolitiques, de sécurité, commerciaux, migratoires, industriels, etc.), qui entrent en interaction avec les questions climatiques et environnementales. Il pouvait en outre arriver que les grands problèmes mondiaux se retrouvent en compétition dans les instances internationales, par exemple à l’ONU entre les questions environnementales et la pandémie de Covid ou les guerres en cours. Certaines solutions dans un domaine pouvaient aussi créer des problèmes dans un autre, par exemple le besoin de répondre à un impératif sanitaire a créé une surproduction de déchets plastiques qui sont, bien souvent, rejetés dans la nature.
Dans un contexte de compétition pour l’attention et les ressources financières, ainsi qu’entre le court et le long-terme, des approches plus transversales étaient encouragées, pour mieux répondre et anticiper les chocs globaux actuels et à venir. La société civile avait également un rôle important à jouer pour rappeler aux gouvernements les priorités de plus long-terme.